lundi 14 mars 2011

Face à la menace de guerre civile en Côte d'Ivoire, quelles issues à la crise ?

La position du panel des chefs d'Etat mandatés par l'UA (Union africaine) a été en définitive plus rapide qu'annoncée initialement. Les "décisions contraignantes" qui devaient être remises fin février se sont transformées en une position adoptée le 10 mars. La réunion de l'UA s'est tenue à Addis Abeba en l'absence de Laurent Gbagbo mais avec la présence d'Alassane Ouattara disposant de la protection de l'ONUCI pour s'envoler, alors que Gbagbo disait interdire le vol des forces d'interposition des Nations unies et de la France. Le panel des cinq chefs d'Etat a confirmé la victoire d'Alassane Ouattara et remis au CPS (Conseil de paix et de sécurité) ses positions qui ne sont plus des "décisions contraignantes".Dans les quinze jours, un nouveau gouvernement devrait être mis en place avec consultation de Laurent Gbagbo. L'Afrique du Sud, qui soutient Laurent Gbagbo, a été discrète et une unanimité de façade est apparue. Mais la donne n'a pas changée et l'UA ne fait que confirmer ce qu'elle avait déjà dit il y a trois mois. L'absence de propositions de sortie de crise confirme l'impasse diplomatique. Laurent Gbagbo a rejeté cette décision et n'est pas prêt à accepter cette légitimation diplomatique d'Alassane Ouattara. Celui-ci cherche à obtenir un appui du Nigeria symbolisé par sa rencontre avec Goodluck Jonathan. Pendant ce temps, le nombre de déplacés et de réfugiés et les affrontements intercommunautaires croissent et les risques de guerres civiles et d'affrontements armés augmentent.
Au-delà de la situation dramatique subie par les Ivoiriens, du spectre de la guerre civile et de possibles conflits violents, du blocage actuel de la Côte d'Ivoire, deux visions s'affrontent. L'une est souverainiste, ethno-nationaliste et anticoloniale sur laquelle joue Laurent Gbagbo plus ou moins appuyée par certains pays africains considérant les Nations unies comme des forces d'ingérence et ayant le souvenir de la position africaine pro-apartheid et française de Félix Houphouët-Boigny ; l'autre est internationaliste et légaliste sur laquelle s'appuie Alassane Ouattara et qui est soutenue par les Nations Unies et les puissances occidentales. Dans le dossier complexe et dramatique de la Côte d'Ivoire, il faut ainsi différencier les questions de légalité et de légitimité des questions de rapports de force internes et de géopolitiques internationales et les aspirations et positionnements des populations. La majorité de la population ivoirienne qui a massivement voté dans des conditions de vote très correctes est lasse de la ni guerre/ni paix qui dure depuis 10 ans. Elle veut retrouver un pays pacifié avec à sa tête un dirigeant capable de redresser l'économie et d'assurer l'unité territoriale.
UNE SITUATION QUI DEMEURE BLOQUÉE SUR LE PLAN POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE
La situation politique et institutionnelle mais également économique et financière de la Côte d'Ivoire demeure bloquée et est en prise aux exactions perpétuées par les milices de Laurent Gbagbo qui ont fait au moins 260 morts selon les Nations unies et plus selon Human rights Watch avec des possibles charniers. Le temps s'écoule en Côte d'Ivoire sans perspectives nouvelles. Comme le dit Amadou Hampâté Bâ aux Occidentaux : "Nous avons le temps et vous avez la montre".
L'économie ivoirienne est paralysée. On estime à plus de 500 000 les pertes d'emplois. Les départs des immigrés ont été importants. Les grands groupes peuvent faire le gros dos. Certains, notamment français (Bouygues, Bolloré, Total), ont bénéficié de contrats importants avant les élections et ne sont pas prêts à répondre aux injonctions politiques d'asphyxie de Laurent Gbagbo. Celui-ci prend des mesures symboliques de réquisition des filiales bancaires de la Société générale ou des filiales de la BNP ou de nationalisation des filières de cacao. La situation est catastrophique pour les PME où les Libanais mais également les Ivoiriens ont un rôle central. Les filières de cacao et de café sont en crise (1,2 millions tonnes soit 40% des exportations mondiales). Le port d'Abidjan a vu son trafic se réduire de moitié. Les primes de risques des grands groupes ont flambé. L'administration est divisée et paralysée. Cette situation rétroagit sur tous les pays enclavés de la région de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).
CHACUN DES PROTAGONISTES DISPOSE D'ARMES DIFFÉRENTES
La légalité interne et la légitimité internationale sont du côté de Alassane Ouattara mais Laurent Gbagbo dispose de la force, de la puissance du feu et d'une légitimité auprès d'une partie de la population du Sud qui est persuadée qu'il a gagné et (ou) qu'il est victime d'un complot étranger et y voit une ingérence voire une recolonisation de la Côte d'Ivoire.
Laurent Gbagbo joue sur la lassitude de la communauté internationale, sur les fissures au sein des pays africains et de la communauté internationale, sur l'histoire coloniale et post-coloniale mais aussi sur les risques de guerres civiles et d'affrontements entre armées. Il dispose de nombreuses armes : un art consommé de la manipulation, le soutien des chefs d'Etat major de l'armée et plus exactement des forces spéciales de sécurité (environ 4 000 à 5 000 fidèles), la possibilité de faire jouer les escadrons de la mort ou des milices et les jeunes patriotes deCharles Blé Goudé et de jouer ainsi sur la peur ; mais il peut également compter sur l'appui de l'Angola et des mercenaires libériens, sur la manipulation de l'information par son contrôle des médias, et sur le chantage sur les immigrés des pays voisins... Il s'appuie sur un discours ethno-nationaliste et populiste vantant une seconde décolonisation et indépendance et dénonçant les candidats de l'étranger et instrumentalise l'ethnicité.
La séduction d'un discours africain et résistant contre le monde occidental de typeRobert Mugabe, renforcé par les ingérences internationales, est grande auprès de certains Africains (intellectuels ou sous-prolétariat urbain). Avec habileté, Laurent Gbagbo a signé des contrats avant les élections avec les grands groupes français (Bouygues, Bolloré, Total) ; il dispose de réseaux France/Afrique qu'il sait activer et il joue sur la menace concernant la sécurité des 15 000 Français (dont 60 % de binationaux). Il sait jouer de l'argumentaire du deux poids deux mesures en notant le caractère non démocratique de nombreux régimes africains qui le condamnent.
Les gels des avoirs de la part de l'Union européenne, les menaces de la Cour pénale internationale (CPI), les ultimatums pour son départ ont plutôt renforcé sa stature de résistant.
Alassane Ouattara a, quant à lui, gagné au début la bataille diplomatique. Il veut gagner la bataille de l'asphyxie économique et financière. Il a la légitimité de la victoire électorale mais a mobilisé peu longtemps ses partisans dans la rue et a fait des effets d'annonce non suivis d'actions concrètes. Il a la plus grande légitimité auprès de la communauté financière internationale pour redresser l'économie et les finances du pays. Mais il a été relativement absent en dehors de déclarations verbales et n'a pu montrer sa posture de chef d'Etat étant dépendant de la protection de l'Opération des Nations-unies en Côte-d'Ivoire (ONUCI). Il bénéficie des Forces nouvelles (estimées entre 5000 et 10 000 hommes) auxquelles il faut ajouter la garde prétorienne des "com zones". Il peut recevoir des appuis africains de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), à l'exception du Ghana. Il peut surtout bénéficier de l'assèchement économique et financier de Laurent Gbagbo du fait de l'affectation des comptes de la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) ou du boycott des exportations du cacao et du café.
Laurent Gbagbo a besoin de 70 milliards FCFA par mois pour payer les fonctionnaires et les militaires, or il a hypothéqué pour deux ans les recettes pétrolières (110 milliards FCFA) et risque de ne pas bénéficier des recettes cacaoyères (329 milliards FCFA). La bataille économique a conduit à la réquisition de banques étrangères et à la nationalisation de la filière caco de la part de Laurent Gbagbo.

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