dimanche 6 mars 2011

Côte d’Ivoire.  Le rôle ambigu des Nations unies

Les pressions de la « communauté internationale » ont poussé Laurent Gbagbo au raidissement.
Les Nations unies font-elles preuve de partialité dans la crise postélectorale qui déchire depuis deux semaines la Côte d’Ivoire ? L’accusation est brandie par le camp de Laurent Gbagbo, qui voit dans l’ONU un « instrument des grandes puissances occidentales », en l’occurrence, la France et des États-Unis.
Au cœur de la polémique, la « certification » de la victoire d’Alassane Ouattara par le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Côte d’Ivoire, le Sud-Coréen Choi Young-Jin. Le procédé, inédit, est juridiquement ambigu. « Les Nations unies n’ont pas sollicité une telle responsabilité, ce sont les dirigeants ivoiriens qui l’ont demandée. C’est une responsabilité solennelle de l’ONU envers le peuple ivoirien », faisait valoir Choi Young-Jin lors d’une conférence de presse le 8 décembre, avant de détailler sa « méthode de certification ».
Au lendemain de la proclamation par la commission électorale indépendante (CEI) des résultats provisoires du second tour de l’élection présidentielle donnant Alassane Ouattara vainqueur, le premier ministre, Guillaume Soro, invitait « instamment le représentant spécial du SG de l’ONU pour la Côte d’Ivoire à certifier les résultats ». Demande à laquelle le fonctionnaire onusien a accédé, en reconnaissant la victoire d’Alassane Ouattara, aussitôt après la proclamation du Conseil constitutionnel donnant Laurent Gbagbo vainqueur. « Il faut noter que j’ai implicitement certifié le déroulement du second tour, lors d’une conférence de presse tenue le 29 novembre 2010. Ainsi, la proclamation des résultats définitifs par le président du Conseil constitutionnel, avec l’annulation du vote dans neuf départements du Nord, qui donne la victoire au candidat Laurent Gbagbo, peut seulement être interprétée comme une décision ne correspondant pas aux faits », expliqua alors Choi Young-Jin. Avant de préciser que « même si toutes les réclamations déposées par la majorité présidentielle auprès du Conseil constitutionnel étaient prises en compte (...), le résultat du second tour de l’élection présidentielle, tel que proclamé par le président de la CEI le 2 décembre, ne changerait pas, confirmant le candidat Alassane Ouattara vainqueur ». Pour le constitutionnaliste Albert Bourgi, spécialiste de l’Afrique et proche de Laurent Gbagbo, « cette certification précipitée, en faisant abstraction, sans la moindre discussion, de l’une des institutions ivoiriennes, a contribué à rompre les fils du dialogue et à faire dérailler le processus électoral ». Et le juriste de déplorer « le passage en force du représentant de l’ONU, qui a outrepassé son mandat et s’est comporté comme le chef d’une autorité de tutelle exercée par les Nations unies ».
Ces soupçons de partialité pesant sur les Nations unies ne sont pas l’apanage de l’un des camps qui s’affrontent aujourd’hui en Côte d’Ivoire. On se souvient, par exemple, des accusations de soutien à Hamid Karzai, lancées en octobre 2009 par l’opposition contre le chef de l’ONU en Afghanistan, Kai Eide. Mais, dans le cas de la Côte d’Ivoire, c’est surtout le passif de l’interventionnisme décomplexé de la France, y compris sur le plan militaire, qui pèse, nourrissant la défiance : depuis une décennie, la plupart des propositions de résolutions concernant ce pays ont été introduites par Paris. Dans un tel contexte, alors que la Côte d’Ivoire menace d’être happée par la spirale de la violence, les pressions de la « communauté internationale » pourraient, paradoxalement, pousser le camp de Laurent Gbagbo à un dangereux raidissement.

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