A Abidjan, les combats opposant les forces loyales à Alassane Ouattara aux derniers fidèles de Laurent Gbagbo se concentraient vendredi autour des derniers bastions du président sortant, introuvable.
La poudrière a explosé et pour Gbagbo la situation paraissait vendredi soir irréversible. L’avancée foudroyante des forces d’Alassane Ouattara depuis lundi s’est achevée au cœur d’Abidjan. Pour le président autoproclamé, c’est un effondrement, un désastre. En moins d’une semaine, pied au plancher, les partisans du président reconnu par la communauté internationale ont conquis le pays au prix de combats sporadiques et de demi-batailles.
Convergeant dans la nuit de jeudi à vendredi vers la capitale économique après une journée d’extrême tension et de confusion, les forces républicaines ont facilement investi de nombreux quartiers et se sont retrouvées aux portes du pouvoir au cœur de la ville, passant par les larges avenues désertées. Mais, depuis jeudi soir, les accrochages se sont multipliés dans la capitale économique de la Côte d'Ivoire et les forces de l’ONU ont des difficultés à s’interposer.
Les habitants cachés chez eux espéraient que le calme revienne au matin avec une fuite du président sortant. Il n’en serait rien malgré de nombreuses rumeurs : fuite au Bénin, exfiltration à l’ambassade d’Angola, suicide. Non, il resterait !
« Ça n’arrête pas de tirer à l’arme lourde, et ce, depuis 2 heures du matin, le tout entrecoupé de rafales d’armes automatiques et manifestement de très gros calibre. C’est inimaginable. Nous sommes effrayés. » Témoignage d’un ressortissant français.
La Garde ne se rend pas
Les combats à l’arme lourde et à l’arme automatique se concentrent autour des bastions que veulent à tout prix défendre les 2.500 soldats de la Garde républicaine (GR), les forces spéciales comme le Cecos, mais aussi les plus déterminés des jeunes favorables à Laurent Gbagbo. Plusieurs colonnes d’une épaisse fumée noire montent dans le ciel et indiquent que ces combats ont lieu dans le secteur du palais présidentiel, dans le quartier du Plateau – quartier du pouvoir –, mais aussi à Cocody, un quartier chic, à proximité de la résidence du président sortant. En fin d’après-midi les combats ont semble-t-il ralenti sans que l’on puisse en expliquer la raison. Hésitations ? Tractations ?
« La France appelle M. Laurent Gbagbo […] à se retirer immédiatement, à faire cesser les violences et à céder le pouvoir pacifiquement au président Ouattara. » Déclaration de l’Elysée.
Pour les partisans de celui qui refuse de reconnaître sa défaite électorale et militaire, il est hors de question pour lui d’abandonner le dernier combat qu’il livre. « Il mène la résistance », selon son porte-parole. Une résistance aveugle avec sa femme Simone, qui serait toujours à ses côtés. Introuvable, il est impossible de savoir s’il est dans sa résidence de Cocody, s’il est au palais présidentiel ou dans un camp de gendarmerie entouré d’un quarteron d’officiers où il organiserait ses dernières lignes de défense. Que lui reste-t-il ? Il a perdu dans la nuit de jeudi à vendredi sa carte maîtresse, la RTI (Radio-télévision ivoirienne), située à seulement 1.500 mètres de sa résidence. Impossible pour lui de faire usage de ses slogans et d’appeler ses partisans isolés dans leur fief de Yopougon, qu’il souhaitait armer il y a encore quelques jours. 80 % de ses officiers ont rejoint Alassane Ouattara, mais il peut toujours compter sur le colonel Boniface Kouakou et les commandants de la GR, compromis dans les exactions du régime.
« Gbagbo n’est pas en fuite, il est dans un endroit sécurisé d’où il conduit les opérations. Il n’a pas l’intention de démissionner, il ne cédera pas le pouvoir. Pour ses idées, il ira jusqu’au bout. » Toussaint Alain, conseiller de Gbagbo.
Guillaume Soro, chef de guerre
Face à Gbagbo, sur le champ de bataille, le redoutable Guillaume Soro, ancien « rebelle », connaisseur des armes et son ancien Premier ministre du gouvernement d’union nationale. Soro affiche sa détermination à chasser « le boulanger » d’Abidjan, de gré ou de force. Cependant, celui-ci veille à ce que des dérapages ne surviennent pas dans la capitale après les premières critiques et les avertissements lancés par l’ONU sur d’éventuels crimes de guerre commis par les Forces républicaines fidèles à Ouattara lors de leur avancée victorieuse. A Abidjan, les journalistes sont présents, et la cité de 4 millions d’habitants, ultime verrou avant l’accession au pouvoir d’Alassane Ouattara, se souviendrait de ces « bavures »…
Des morts et des questions
Balle perdue
Une Suédoise travaillant pour la mission de l’ONU en Côte d'Ivoire a été tuée par une balle perdue jeudi à Abidjan.
Un Français assassiné
Un enseignant français a été assassiné dans la nuit de jeudi à vendredi à Yamoussoukro, lors d’un crime qui, selon les premiers éléments de l’enquête, serait crapuleux.
Une conquête qui pose question
Certains observateurs comme Antoine Glaser, spécialiste de l’Afrique, sont surpris par l’avancée fulgurante et « le professionnalisme » des Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI), pro-Ouattara, et jugent « vraisemblable que des conseillers militaires français et américains aient participé à la conception de cette opération ». D’autres évoquent que l’armement des FRCI serait en provenance du Burkina Faso et du Nigeria, en infraction aux règles de l’embargo onusien pourtant imposé à toutes les parties.
Graves violations des droits de l’homme dans les deux camps
Des experts des droits de l’homme de l’ONU, se disant inquiets de graves violations commises depuis des mois en Côte d'Ivoire, ont appelé vendredi « les parties » impliquées dans le conflit à cesser d’urgence les meurtres de civils.
CHRONOLOGIE depuis le second tour des élections (28 novembre)
28 novembre 2010. Second tour de l’élection présidentielle entre le président sortant Laurent Gbagbo, et l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara.
3 décembre. Laurent Gbagbo est proclamé vainqueur par le Conseil constitutionnel. L’ONU, l'UE, la France et les Etats-Unis félicitent Alassane Ouattara.
28 mars 2011. Début d’une vaste offensive des pro-Ouattara, qui prennent la capitale du pays Yamoussoukro (centre) et le premier port d’exportation du cacao au monde, San Pedro (sud-ouest).
31 mars. Les forces d’Alassane Ouattara pénètrent dans Abidjan.
1er avril. Les combats font rage autour de la présidence, le président sortant est introuvable.
En chiffres
L’ONU dénombre, selon un dernier bilan, plus de 500 morts depuis la fin du mois de novembre.
4 à 5 millions d’habitants vivent à Abidjan.
Environ 12.200 ressortissants français vivent en Côte d'Ivoire (11.800 à Abidjan), dont 7.300 binationaux.
Les violences dans le pays ont fait fuir de leur maison entre 700.000 et un million de personnes.
700 étrangers sont réfugiés à la caserne du 43e BIMa de Port-Bouët.
Par Antoine Kowalski
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire