mardi 12 avril 2011

La politique étrangère, naufrage du sarkozysme

Depuis quelques semaines, un frisson patriotique parcourt le pays et les rédactions de presse : ça y est, la France est de retour, cocorico ! Nos soldats se déploient partout, en Libye, en Côte d'Ivoire, non pas pour intégrer quelque force d'interposition défensive et impuissante, mais pour attaquer et faire chuter les tyrans. Même les néoconservateurs américains fustigent la pusillanimité d'Obama et soupirent après l'impétueux Sarkozy, c'est dire ! Oubliés les discours sur le déclin et l'inéluctable moyennisation de la puissante française : le drapeau tricolore flotte à nouveau fièrement aux quatre coins du monde.

Du moins est-ce là le storytelling que l'on entend nous vendre, et auquel voudrait nous faire adhérer l’Élysée. Car bien entendu, au cœur de tout cela, il y a le Président de la République, sa politique extérieure, la mise en scène de cette politique extérieure, et ses répercussions espérées sur la politique intérieure. Autant de paramètres qu'il faut prendre en compte si l'on veut porter un regard un peu plus lucide sur les événements qui se jouent sous nos yeux.

Nicolas Sarkozy joue sa réélection et il sait bien qu'elle est tout sauf acquise – c'est une litote – en raison de l'échec total de sa politique intérieure. Il avait donc décidé de faire de cette année une grande séquence internationale, utilisant G20 et G8 pour se remettre à flot et tenter d'inverser le cours plongeant de son mandat. Mais ce plan soigneusement préparé est venu se briser sur l'imprévu, sous la forme du vent de liberté qui a traversé les pays arabes depuis le début de l'année. Et le moins que l'on puisse dire est que la réaction de la France, lors des premiers soubresauts en Tunisie puis en Égypte, n'a pas été à la hauteur : lenteur, réactions inappropriées et en retard, sorties malheureuses sur l'aide « au maintien de l'ordre ». La diplomatie française et l’Élysée ont complétement raté le tournant de ces révolutions démocratiques et ont même, comble du comble, donné le sentiment d'être les derniers soutiens des dictateurs en place.

Ce contexte et cette histoire très récente éclairent et expliquent ce qui se passe actuellement. L'intervention en Libye a tout autant été un geste nécessaire et courageux qu'une fuite en avant pour redorer, sur un coup de dé, le blason bien terni de la France. Peu importe : il fallait, je l'ai défendu très tôt, porter secours aux rebelles libyens qui étaient à deux doigts de se faire écraser dans un bain de sang. Mais une fois le principe de l'intervention acquis, ce sont ses modalités qui importent. Et là, que voit-on ? Une capitulation, après quelques rodomontades pour la forme, devant l'OTAN (n'oublions pas que c'est Nicolas Sarkozy qui a œuvré pour la pleine réintégration de la France en son sein) ; et par suite, une soumission à des objectifs de guerre pour le moins obscurs et absurdes, avec des interventions au compte-gouttes qui redonnent un peu d'air aux rebelles, puis les laissent échouer à reprendre l'avantage sur l'ennemi, puis reprennent à nouveau, pour les sauver in extremis, quand les troupes de Khadafi reprennent l'avantage, etc. On voudrait semer le chaos dans ce pays que l'on ne procéderait pas autrement ; et gare au retournement de l'opinion libyenne, qui pourrait bien dans un avenir très proche se lasser de ces « sauveurs » français et alliés qui donnent presque le sentiment de jouer comme le chat avec les souris.

Et alors que la « croisade » (dixit Claude Guéant) triomphale vers Tripoli tournait au bourbier incertain, un scénario semblable se mettait en place en Côte d'Ivoire. La France y est présente et a à y jouer un rôle de force d'interposition pour protéger les civils et la communauté internationale ; ces derniers jours pourtant, s'appuyant sur une décision de l'ONU lui valant dans les faits étoile de shérif, elle s'est progressivement exercée à une activité d'une tout autre sorte, épaulant plus ou moins discrètement les forces d'Alassane Ouattara pour reprendre par la force Abidjan et le contrôle du pays. Les dernières heures ont été cruciales : dans le dos de la représentation parlementaire, hors de toute consultation démocratique, l'armée française a mené l'assaut final contre Laurent Gbagbo, abandonnant définitivement son rôle de stabilisateur et de garant du processus démocratique pour un retour à peine voilé à la politique de la canonnière. Il n'y a guère que la couverture de l'ONU qui donne encore à ces actes de guerre en bonne et due forme une apparence d'opération de police internationale. Notons d'ailleurs qu'à aucun moment de cette crise la France n'a tenté de jouer un rôle d'apaisement : dès la contestation du vote en fin d'année dernière, Paris a sommé Gbagbo de partir, plutôt que de pratiquer une médiation raisonnable dans le sens d'un nouveau vote ou d'un accord avec son adversaire.

Ces opérations mal ficelées, peu ou pas pensées dans leurs conséquences, sont donc bien dans la droite ligne des cafouillages tunisiens et égyptiens, quoi qu'on puisse en penser à première vue. On ne s'improvise pas homme d’État visionnaire d'envergure planétaire en jouant simplement au cowboy. Pire encore, on peut sérieusement craindre que cette gestion brouillonne de dossiers aussi complexes finisse par se retourner contre la France un jour ou l'autre : que se passera-t-il si on découvre que les troupes de notre « ami » Alassane ont perpétré des actes graves, ou si l'après-Gbagbo se joue sur fond de purges sanglantes et de guerre civile larvée ?

C'est d'autant plus préoccupant que la France risque plus gros que la réputation et la popularité de son actuel président : elle risque, tout simplement, de perdre le respect qu'inspirait encore il y a peu la patrie des droits de l'homme et de la Révolution, garante symbolique des valeurs de cette dernière à travers le monde. Quand on ne défend plus des principes, quand on apparaît comme une force supplétive se mettant successivement à la solde des uns ou des autres, on perd cette dignité qui a toujours fait la grandeur de notre pays – bien plus que ne le feront jamais les postures de gendarme du monde aux petits pieds.

Julien Dray

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